Journée des enseignants

Panel réalisé à Croix-des-Bouquets à l’occasion de la fête des enseignants par le réseau des écoles de Filles de Marie Paridaens.

 

Monsieur dame les panélistes[1], Révérendes sœurs, honorables directrices, les membres du personnel administratif des différents établissements représentés, les responsables pédagogiques, chers collègues enseignants, les délégations d’élèves des institutions des filles de Marie, chers parents et invités, le personnel de soutien, bonjour. Permettez-moi de vous rappeler que ce jour est consacré à la commémoration de la journée des enseignants. Je suis à ma 2e fête pour ce mois de mai. Qu’il est beau de se réunir autour d’une table, de célébrer un instant de fraternisation, de rencontrer des connaissances autour d’un pot.

Développer ce sens social est d’une très grande importance puisque nous formons tous une grande famille. De plus, nous avons le privilège de former des générations appelées à agir sur leur communauté construire la nation, à bâtir une nouvelle société haïtienne, à changer la face du monde, à influencer le projet de vie des élèves. L’école n’étant pas simplement un lieu où l’on apprend seulement à lire, à écrire et à compter.

 

En cette occasion rare et spéciale, nous allons réfléchir un peu sur ce métier impossible. Selon Freud, il y a trois métiers impossibles : éduquer, gouverner, psychanalyser. L’activité d’enseignant exige beaucoup d’engagement et renferme un ensemble de tâches routinières et ingrates que nous faisons et refaisons jour après jour avec des élèves qui ne comprennent pas toujours ce qu’ils font à l’école, ni ce que la société attendent d’eux. On se demande parfois si ‘’éduquer en Haïti’’ vaut la peine. Pour quel modèle de société formons-nous les jeunes qui ne sont pas les nôtres comme on a coutume de dire mais qui nous sont confiés ? Il demeure vrai que des actions éducatives doivent s’inscrire dans le cadre d’un projet éducatif, d’une politique éducative pour pouvoir changer une société.

 

A cette table, nous sommes trois à partager avec vous en d’autres termes ce qui a été maintes fois dit, redit : Le thème retenu pour ce panel est l’éducation Nouvelle.

Quant à moi, j’aurai à situer le débat dans son contexte historique, théorique et pédagogique pour structurer le tour de parole. Pardonnez moi, si je me répète au long de cette présentation.

L’idée d’une école nouvelle prend naissance durant la Renaissance (XVIe siècle) mais sera développée avec les praticiens au cours du 19e siècle surnommé l’âge d’or de la pédagogie. Les premiers humanistes (Erasme, Montaigne) ont avancé des idées pour l’implantation d’une pédagogie nouvelle qui remplace  la vision classique du Moyen-âge, celle d’édifier les âmes et façonner un peuple chrétien pour conquérir le monde[2].

A l’époque, dans les écoles paroissiales en Europe, on continuait à enseigner les contenus et les objectifs rudimentaires : lire, écrire, compter, affiner les mœurs. L’enfant était modelé suivant des valeurs adultes et chrétiennes. Les philosophes humanistes vont se détacher de cette vision consensuelle afin de fonder une nouvelle conception de l’éducation. Rousseau dans l’Emile (1762) a posé les bases de l’éducation moderne et de la psychologie de l’enfant en affirmant que l’enfant n’est pas un adulte en miniature. Il distinguera trois formes d’éducation :

Une éducation de la nature qui caractérise le développement interne des organes et des facultés,

une éducation des hommes : celle qui consiste à apprendre l’usage des organes et des facultés,

une éducation des choses basée sur l’acquisition des expériences.

 

Revenons à notre thème qui est celui de l’éducation Nouvelle.

 

Le concept d’Education nouvelle appelé aussi école active, école progressive nous vient de l’Occident tout aussi bien que notre système éducatif - avec ses humanités et ses contradictions - les congrégations religieuses qui militent dans l’éducation. Elle est née officiellement en France en 1922 après la première guerre mondiale. Elle part d’un principe fondamental : le retour à l’enfant, sujet de plein droit de sa propre éducation. L’éducation de l’enfant doit s’inspirer de son vécu et de ses besoins au lieu de lui imposer des buts lointains.

 

Caractères de l’école Nouvelle

 

L’école Nouvelle désigne :

a) une école active : On apprend que lorsqu’on est actif. L’enfant, au lieu d’écouter et d’imiter, apprend par lui-même en choisissant autant que possible ce qu’il apprend ainsi que ses manières de l’apprendre[3].

b) une école coopérative : L’enfant se socialise au sein d’un groupe. Pour cela, les grandes décisions sont prises en commun par les conseils d’élèves. On pratique des travaux collectifs proches de la vie : journal de classe, coopérative scolaires, spectacles…

c) Une école démocratique : Elle veut donner à tous une vraie chance de réussite. C’est l’égalité des chances, l’équité de genre. Filles et garçons, enfants de la campagne comme ceux de la ville, enfant issu de la classe défavorisée comme celui de la classe possédante doit avoir accès à l’éducation. Il ne s’agit pas du programme d’éducation pour tous (EPT) ou d’une ‘’école unique’’ qui risque d’être ‘’inique’’ mais d’une école qui accueille les enfants où qu’ils soient, quel que soit leur culture, doivent être traités en individus ayant des droits : droit à l’éducation, droit d’accès à la culture, droit de devenir un citoyen digne et d’être pleinement homme, pleinement femme.

 

Finalités de l’enseignement selon les fondateurs de l’Ecole Nouvelle[4]

Les pédagogues de l’école Nouvelle proposent donc de nouvelles finalités à l’enseignement :

- former un homme, une femme dans la totalité de son être (développement des domaines intellectuel, affectif, social, physique…)

- former des personnes sensibles capables de communiquer authentiquement

- former des personnes conscientes et critiques

- former des personnes capables d’intégrer leurs pensées, leurs sentiments, leurs actions

- former des personnes responsables

- former des personnes respectueuses des autres

La force de l’éducation nouvelle est dans sa pédagogie. Pourrait-on parler de pédagogie sans parler d’éducation nouvelle ? Présentons brièvement les pédagogues de l’école Nouvelle.

 

Des pédagogues de l’école Nouvelle : Dewey et Feinet

L’éducation nouvelle ne saurait exister sans l’œuvre des pédagogues de renom comme John Dewey, Célestin Freinet ou Edouard Claparède. Voilà pourquoi, je consacrerai quelques lignes de cette communication pour analyser quelques-unes de leurs idées.

 

Le courant de pédagogie nouvelle dont s’est inspiré les pédagogues pré-cités doivent beaucoup à John Dewey [5], pédagogue et chercheur américain qui a inventé le concept, learning by doing, une pédagogie basée sur les intérêts de l’enfant tout comme Decroly qui a voulu  faire de l’école comme un instrument de progrès et de transformation de la société[6]. Ces pédagogues, que je viens, de citer placent l’enfant au centre des activités pédagogiques. A souligner que le pragmatisme de Dewey a imprégner fortement l’éducation aux Etats-Unis et a même inspiré la reforme Bernard de 1980 chez nous. ‘’S’inspirant d’une philosophie pragmatiste et humaniste…’’ lit-on dans le préambule du curriculum de l’école fondamentale.

 

Avec Dewey, l’école est considérée comme une base sociale de la vie de l’école et a comme finalité ‘’le développement d’un esprit de coopération et de vie en communauté’’. Il a fondé les écoles-laboratoires où il a expérimenté sa théorie sur ses enfants et ceux de son voisinage.

Célestin Freinet (1896-1966), l’un des rares pédagogues français célèbre qui a développé une approche innovante de l’éducation. Blessé au poumon lors de la guerre de 14-18, il a choisi de se consacrer avec sa femme Elise à la cause de l’éducation. Il a trouvé des éléments de réponse à la question qui bouleverse encore les enseignants de nos jours : comment susciter le désir d’apprendre chez l’élève ? Comment motiver les élèves ? Pour y parvenir, il a inventé ses techniques de l’école moderne en bannissant les manuels scolaires pour proposer des fichiers pédagogiques et des tâches signifiantes, motivantes aux élèves (journal scolaire, la coopérative scolaire, l’imprimerie à l’école, le conseil des élèves, les classes promenades, les ateliers d’apprentissage) en vue de leur épanouissement total. Ainsi en les valorisant et en les responsabilisant davantage, il a constaté que les élèvent s’impliquent dans la tâche, portent intérêt à ce qu’ils réalisent et apprennent mieux. Le maitre assiste, sert de guide, de médiateur, de conseiller et reste à l’écoute des élèves en tant qu’adulte expérimenté mais qui n’a pas fini  d’apprendre.

 

Claparède et l’éducation fonctionnelle

Que pensent les autres pédagogues de l’école Nouvelle ? Sont-ils opposés à ces points de vue ? Voyons.

L’éducation est adaptation progressive dont la croissance de l’enfant est le moteur. L’école doit être active, laboratoire et non auditoire. Elle doit éviter de faire détester le travail. Elle constitue déjà un milieu social, valable pour lui-même et préparant aux réalités de la vie adulte. L’enseignant y est d’abord un « stimulateur d’intérêt ». Telle est la pensée de Daniel Hameline sur un autre pédagogue de l’école Nouvelle, Claparède qui a développé le courant de l’education fonctionnelle [7].

 

EDOUARD CLAPARÈDE (1873-1940), citoyen Genevois, admirateur de Dewey a créé en 1912 l’Institut des Sciences de l’Éducation. Dès 1911, Claparède a posé les bases d’une pensée de l’éducation qui, jusqu’à la fin, se présenterait comme la mise en œuvre d’une anthropologie biologiste et fonctionnaliste: l’humain, pour Claparède, c’est avant tout un vivant qui fonctionne.

La seule ressource de l’éducation, c’est bien de coïncider avec ce fonctionnement, de ne faire plus qu’un avec lui, de devenir alors, au lieu de cette surcharge artificielle, pesante et inefficace qu’elle constitue pour des milliers d’enfants, l’expression naturelle de leur activité et de leur développement.

 

Claparède reproche précisément à l’école de ne pas savoir obtenir des intelligences le rendement optimal, de gaspiller le capital intellectuel des nations. Il en veut pour témoignage l’écart entre le succès scolaire et la mesure de l’intelligence : les meilleures intelligences stagnent à l’école, trop adaptée qu’elle est à la masse des élèves moyens.

 

Claparède rejoint Jean-Jacques Rousseau à propos de l’éducation naturelle. La nature connaît son intérêt, « elle fait bien ce qu’elle fait et elle est meilleure biologiste que tous les pédagogues du monde». La nature - et donc l’enfant au naturel -, connaît ses besoins. Ceux-ci sont d’abord : agir, construire, se développer en agissant et en construisant. L’intérêt de l’enfant est ainsi d’abord de jouer. « A quoi sert le jeu ? », demande le prosaïque homme de science que se veut Claparède. L’enfant joue parce qu’il y trouve son intérêt et qu’il y trouve dès lors de l’intérêt[8].

On ne vient pas à l’école pour jouer mais pour apprendre me diriez-vous. Exactement. Mais, l’enfant apprend-il véritablement s’il ne prend pas plaisir dans ce qu’il apprend (épistémophilie = amour du savoir), s’il ne s’investit pas dans ce qu’il fait. Le temps que nous consacrons dans un livre qui nous plaît, la passion que nous avons pour les maths ou les langues, peut-être pas tous, la curiosité de l’homme de science ne deviennent-ils pas un jeu à un certain moment ? Et si, on introduisait des exercices-jeux ne seront-ils pas plus motivant pour les élèves ? Je suis d’avis.

 

L’école Nouvelle ou tout simplement l’école pour Claparède ainsi que Freinet implique communication, entraide, coopération, collaboration et intérêt mutuel.

 

Concluons notre exposé par les limites de l’éducation nouvelle…

 

Limites de l’éducation Nouvelle

En prônant l’école dans la vie, l’education Nouvelle  oublie que la vie n’est pas une école, mais un dur combat auquel celle-ci doit préparer. En exhalant les valeurs de l’enfance (pédocentrisme) et de la jeunesse, elle oublie parfois que la tâche de chacun est de devenir adulte non pas de demeurer un éternel enfant.

Toutefois malgré les limites, on doit reconnaitre la pensée innovante et innovatrice que ce courant a pu insuffler en éducation. Celle-ci nous permet d’élargir notre vision d’un monde moderne, universel, anthropocentré (centré sur l’humain) et d’avoir un peu plus de considération et d’attention pour les élèves et tenter de les faire évoluer dans le sens de leur projet dans la mesure du possible. Ne tirons pas sur la plante pour la faire pousser mais arrosons là avec des encouragements par moments.

 

Merci de votre attention ! Bonne fête chers enseignants !

 

Johnson Chéry, Formateur d’adultes, 17 mai 2015

 



[1] Le panel est constitué de M. Bernard (Dir pédagogique du secondaire à CIM, Mme Ertha (Christ-roi) comme modératrice et Moi qui ai intervenu sur les fondements de l’éducation nouvelle. M. Bernard a fait des considérations sur le contexte de l’éducation en Haïti à savoir notre retard  à l’ère des nouvelles technologies et des ‘’petits métiers’’. Il a encouragé les enseignants à privilégier l’approche par compétences dans leurs cours.

[2] Pour en savoir plus sur ces pédagogues, consulte mon article pour le cours Histoire des idées pédagogiques. De l’Antiquité à la Renaissance : Ruptures et continuité au niveau de la pensée pédagogique, Uniq, Mars 2013.

[3] Reboul, Les valeurs de l’éducation, Paris : PUF

[4] Les pédagogies nouvelles, Dehon Catherine,  Dierkens Carine  et alii, Dossier No 4, 2008

[5] John Dewey : pédagogue et philosophe américain (1859-1952). John Dewey, né d'une famille modeste aux États Unis, s'est intéressé très jeune à la philosophie politique et sociale. II est mort en 1952. En 1884, il est : nommé professeur de philosophie dans une université du Michigan. Puis il crée en 1896 le département de Pédagogie à l'Université de Chicago, ainsi qu'une école expérimentale nommée Laboratory School (école-laboratoire). Là, en collaboration avec son épouse, Dewey expérimente sa pensée pédagogique de 1896 à 1903. Dans cette école, lieu d'une démocratie naissante, il tente de réconcilier, les dualismes traditionnels comme la raison et le corps, le corps et l'âme, l'esprit et l'action, le travail et le loisir, l'homme et la nature... Son œuvre est introduite en France par Claparède avec la traduction de L.F. Pidoux des textes qui composent L'école et I’enfant (1913). Puis il a écrit L'école et la société, Démocratie et éducation, mais surtout, Comment nous pensons qui fascina le monde de l'éducation de l'époque. II y décrit sa conception de la méthode scientifique en cinq étapes. Celle-ci sera adoptée par les écoles progressistes de l'époque. L'héritage qu'il nous laisse est celui d'une vision critique sur les insuffisances du système scolaire en général. De nos jours encore les novateurs qui privilégient un enseignement "centré sur l'enfant" s'appuient sur ses écrits.

[6] Voir aussi un article que j’estime intéressant accessible via ce lien : http://www.cairn.info/revue-le-telemaque-2001-2-page-53.htm . Zask Joëlle, « L'élève et le citoyen, d'après John Dewey », Le Télémaque, 2001/2 n° 20, p. 53-64. DOI : 10.3917/tele.020.0053

[7] Article de Daniel Hameline sur Edouard Claparède publié dans la revue Perspectives de l’UNESCO consultable en ligne via les moteurs de recherche. Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée. (Paris, UNESCO : Bureau international d’éducation), vol. XXIII, n° 1-2, mars-juin 1993, p. 161-173. ©UNESCO : Bureau international d’éducation, 2000.

[8] Op. cit. p. 3

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